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Bretoncelles : une paroisse du Perche du XVII au début du XIX siècle.
4 août 2016

Composition sociale de la paroisse de Bretoncelles de la fin du XVII e au XVIII e siècle : la hiérarchie fiscale.

 

Comme nous le signale, Christian Poitou « Les rôles de taille permettent d’établir sans difficulté […] hiérarchie fondée sur le montant de l ‘impôt à acquitter. » [1] Nous allons comme pour les deux autres études portant sur la composition sociale de Bretoncelles  nous appuyer sur les rôles des tailles  de 1681, 1707, 1731  et  1790. [2] Concernant la taille, principal impôt sous l’Ancien Régime, nous renvoyons à la présentation que nous avons fait de cette source dans « Composition sociale de la  paroisse de Bretoncelles de la fin du XVII e au XVIII e siècle : le niveau de vie. » et surtout à Annie Antoine « Terre et paysans en France aux XVIIe et XVIIIe siècles ». [3]

Répartition des contribuables en fonction de l’impôt

 Nous avons procédé au classement de la société en utilisant la méthode préconisée par Jacques Dupâquier dans son article « Problèmes de mesure et représentations graphiques ».[4] Nous avons choisi de présenter les années 1758 et 1790. Les quatre premières classes correspondent aux contribuables payant la moyenne et plus soit 30,%5 en 1758 et 21 % en 1790, l’obole étant une imposition symbolique

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Les deux graphiques mettent en évidence une hiérarchie socio-économique très tranchée. La paroisse renferme un nombre très important d’ d’habitants peu aisés. La mise en relation des deux graphiques permet de constater la dégradation du niveau de vie d’une grande partie des paroissiens.

Poids démographique et poids fiscal

 Suivant Christian Poitou, nous avons mis en relation le poids démographique et le poids fiscal des grandes catégories professionnelles auxquelles nous avons ajouté les veuves.[5] Nous présentons dans le tableau ci-dessous les résultats pour l’année 1729, choisie car présentant un nombre de statut inconnu relativement réduit.

 

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Le graphique suivant permet de visualiser les écarts  mais cette fois-ci pour l’année 1707, qui, elle aussi, présente un taux d’inconnu relativement faible.

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 Si l’on se place à l’échelle de la période d’étude 1681-1790, on constate qu’à l’exception de 1729 (voir tableau) les exploitants agricoles représentent entre 12 et 13 % des contribuables qui s’acquittent de 30 à 35 % de la taille de la paroisse. Concernant les journaliers hormis 1681 où les poids démographique et fiscal sont assez proches 12,6 et 19,8%, les sondages réalisés sur les autres années font apparaître des écarts allant de 7 à 18 %.[8] Le secteur artisanal de service pèse entre 5 et 8 %  pour une fiscalité allant de 6 à 10 % selon les années. Un notable exception est à signaler, en 1790 ce secteur s’acquitte de 20,8 % des contributions alors qu’il représente seulement 7,8% des chefs de famille, cela s’explique par la présence des meuniers.[9] Le secteur du textile, là aussi à l’exception de 1681, a un poids démographique autour de 5 à 3 % pour des impositions allant de 2 à 3 %. Pour les veuves, on est entre 11 et 15 % pour une participation à la taille de 7 à 13 %.[10] Nous n’avons pas pris en compte les deux autres catégories : les professions commerciales et les professions administratives et libérales car leurs effectifs sont trop restreints.

L’étude des moyennes des contributions réglées en fonction de la catégorie sociale permet d’autres éclairages.

 

La hiérarchie fiscale et la moyenne des contributions.

 Sans surprise, les exploitants agricoles, hormis l’année 1790 se retrouvent largement en tête. Viennent ensuite les professions commerciales dont la position est contestée en fin de siècle par le secteur du service artisanal. La hiérarchie entre les autres catégories est fluctuante suivant les années sondées mais globalement les moyennes s’étagent entre 5 et 10 livres. Elles  sont à prendre avec précautions car elles masquent des écarts importants à l’intérieur de chaque catégorie. Ainsi en 1681, Gabriel Communeau, marchand est imposé à 52 livres contre 15,8[11] en moyenne pour cette catégorie. La même année, Louis Buguet, maréchal émarge pour 33 livres contre 10,6 pour son groupe. En 1707, Pierre Veillard règle 33 livres soit  près de 3 fois plus que la moyenne (11,4).  Les manœuvres Jean Prudhomme et Beaufils Denis s’acquittent respectivement de 55 et 33 livres pour une moyenne de 9,1. En 1729, Jacques Dezert est taxé à la hauteur de 51 livres, la moyenne de ses confrères du textile étant de 9,2 livres   En 1758, la veuve Pierre Garnier et le charron François Grassin se voient réclamer 35 livres, la moyenne de leur catégorie étant pour la première de 7,2 livres et de 3,6 pour le second.

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En règle générale, en moyenne, un exploitant agricole paierait entre 3 et 4 fois plus de taille qu’un contribuable du secteur textile, 5 à 6 fois plus qu’un journalier, 2 à 2,5 fois plus qu’un commerçant, 3,5 fois plus qu’un membre du secteur administratif et libéral et 4 fois plus qu’une veuve. Une fois encore, ne perdons pas de vue qu’il s’agit de moyenne, les écarts sont beaucoup plus conséquents, si l’on braque la focale sur les plus importants contributeurs. 

La hiérarchie fiscale et gros contributeurs.

Il convient maintenant de se pencher sur les gros contributeurs. Dans un premier temps, il s’agit d’identifier à quelle catégorie ils appartiennent. Pour cela nous avons relever le statut des 20 premiers plus imposés dans les rôles des années sondées, pour rappel 1681, 1707, 1729, 1749 [12], 1758, 1790. Les résultats figurent dans le graphique ci-dessous.

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Sans surprise, les exploitants agricoles, laboureurs et bordagers, sont largement majoritaires. Viennent ensuite les meuniers dont le poids est largement supérieur à leur importance démographique. Quelques veuves aisées rappellent l’hétérogénéité de cette classe. Le monde du commerce est peu présent.Le tableau suivant porte les trois premiers contribuables, ce que l’on peut qualifier de coqs de village à l’échelle bretoncelloise.[13]

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Poids fiscal  des principaux imposés : des inégalités croissantes.

Comme le montre le graphique suivant, les 20 plus importants imposés ne règlent jamais moins d’un cinquième de la taille de la paroisse. L’importance de leur part connaît une progression  constante à partir de 1749 pour atteindre plus de 40 % en 1790. Il y a tout lieu de penser que les inégalités de revenus se sont accentuées à partir de la deuxième moitié du XVIII e siècle. 

Sur 18 noms, on relève  7 laboureurs, 10 meuniers, 2 bordagers, 1 veuve Pour 1729, on pourrait ajouter 2 meuniers dont les contributions sont très proches du troisième. 

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 La société d’Ancien Régime avec ses classes privilégiées a toujours été profondément inégalitaire qu’il s’agisse de la richesse, du statut, de la considération sociale. Bien entendu, la paroisse de Bretoncelles n’échappe pas à cette réalité.

Nous avons calculé les écarts existant entre les contributions du plus riche imposé et de celui qui est au 20 e, 30 e, 50 e, et 100 e rang.

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La méthode utilisée est peut-être discutable mais il nous semble qu’elle traduit néanmoins une réalité. Deux remarques peuvent être faites, d’une part les écarts pour chaque année entre le premier contributeur et ses suivants sont assez conséquents, d’autre part si l’on décèle une certaine stabilité entre 1681 et 1729, à partir de la moitié du XVIII e siècle les écarts se creusent pour atteindre des niveaux très élevés en 1790.

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La représentation graphique permet de constater que les courbes présentent le même aspect et surtout le creusement des écarts entre le 1 er mais aussi ses suivants et le 100 e et au delà. Les montants des contributions montrent un accroissement très important des  inégalités sociales. Les années qui suivent, compliquées au niveau économique n’ont sans doute pas arrangé les choses. 

Le cas 1790

Notre tableau n’est malheureusement pas complet car rappelons-le pour les années1681, 1707, 1729, 1749, 1758 ne figurent pas sur les rôles les nobles et les gens d’Eglise qui par leur statut étaient exempts de taille. Si les revenus de certains écuyers n’étaient peut-être pas aussi élevés que leur statut de noble pouvait le laisser supposer, il n’en est pas de même pour le seigneur de Bretoncelles et le curé.

Le rôle de 1790 échappe à cette restriction, en effet nous disposons du montant des impositions pour trois personnes exemptées jusqu’à présent. Il s’agit de Etienne François d'Aligre, seigneur de Bretoncelles, domicilié à Paris, de Lubin Gommier, prêtre de la paroisse, Gadeau, prêtre vicaire, et de trois institutions : de la fabrique de Bretoncelles, de la confrérie de la Charité et de l’établissement des Petites écoles. Gadeau, le vicaire de la paroisse  est imposé à la hauteur de 3 livres et 2 sols,  la Charité à 25 livres et 3 sols et l’école à  2 livres et 10 sols. Notons au passage, que l’imposition réglée par le prêtre vicaire le place au 205 e rang des contribuables sur 386, rappelant l’hétérogénéité du clergé. [16] La fabrique est imposée pour la somme de 126 livres ce qui la place au 7 e rang des contribuables. Lubin Gommier, le curé, émarge pour 504 livres ce qui représente 6 % du total des impositions y compris « les tenants domiciliés hors de la paroisse »[17]. Arrivant en deuxième position, il paye4,2 fois plus d’impôt que le 10 e et une fois et demi que son suivant immédiat. Avec le seigneur de Bretoncelles, on entre dans une autre dimension, le montant de sa contribution s’élève 1 765 livres soit 21,3% de la taille bretoncelloise soit 14 fois plus que le  10 e plus imposé.

 

Le poids des tenants domiciliés hors de la paroisse

Les rôles de taille de la paroisse ne sont pas l’exacte réalité des contributions payées par les contribuables bretoncellois, un certain nombre d’entre-eux  étaient imposés comme tenant des biens dans les paroisses limitrophes. Ces possessions résultant soit d’achat, soit d’héritage. Les impositions qui en découlent nous échappent.[18] Au même titre, un certain nombre de tenants mais domiciliés hors de la paroisse figurent dans les rôles bretoncellois. Possédant ces données, il nous a semblé utile d’en indiquer l’essentiel.

 

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Le premier tableau récapitule pour  les cinq années sondées, l’importance des contribuables extérieurs et le poids de leur imposition. Ce dernier croissant tout au long du siècle décroît tant en nombre qu’en valeur en 1790. Le second tableau donne quelques exemples de contribuables extérieurs dont l’imposition conséquente les place parmi les plus importants contribuables de la paroisse. On retrouve sans surprise les personnes qui tiennent à ferme des moulins ou les dîmes.

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Conclusion

La hiérarchie fiscale, mise en évidence par les rôles de taille, renvoie bien entendu à la  hiérarchie sociale de la paroisse. Elle permet de cerner la sanior pars, c’est à dire la majeure et la principale partie de la paroisse, celle qui compte dans la prise des décisions concernant la communauté, celle qui va occuper les postes de responsabilité : marguilliers, syndic... Cette hiérarchie fiscale, contribue à déterminer, même au niveau d’un village, un certain nombre de préséances, de règles de comportements sociaux, marqueurs des différences entre des groupes sociaux. [21]

Cependant, ne perdons pas de vue qu’elle n’est pas figée. La mobilité, tant vers le haut que vers bas, est possible mais à un rythme différent. Elle peut être très rapide en descendant, beaucoup plus longue à la hausse. Enfin, beaucoup plus difficile à mesurer est le poids de certains individus, maître Quebault, avocat [22] paye 25 livres 6 sols et se classe 60 e contribuable, maître Jouvet, le notaire en  77 e position avec 18 livres, ou Verdier, le chirurgien payant 1 livre 4 sols au 305 e rang. Leur place dans la hiérarchie fiscale ne reflète peut-être pas leur importance sociale.



[1] Christian Poitou « En Sologne sous l’Ancien Régime Vouzon et Lamotte-Beuvron de 1500 à 1790 » Autoédition 2011. p 577

[2] B 2156, 2204, 2276, 2347 A.D.E.L et C 1289 A.D.O

[3] Annie Antoine « Terre et paysans en France aux XVIIe et XVIIIe siècles » Ophrys 1998 p 79 et suivantes.

[4] Jacques Dupâquier « Problèmes de mesure et de représentations graphiques en histoire sociale » in Actes du quatre-vingt-neuvième Congrès national des sociétés savantes, Lyon, 1964, section d'histoire moderne et contemporaine. Tome 2, Volume 2 / [Comité des travaux historiques et scientifiques] Bibliothèque nationale de France. Gallica  http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36252438v consulté le 24/6/2016

[5] Op.cit. p 578

[6] Valeur dans le système décimal

[7] Tableau établi à partir du rôle de taille de 1729.  B 2276 A.D.EL.

[8] C’est à dire que le poids démographique est de 7 à 18 % plus important que le poids fiscal.

[9] Très souvent gros contribuables, les meuniers, tenant à bail les moulins bretoncellois, n’étaient pas toujours domiciliés dans la paroisse.  En 1790, ils le sont tous, la conjoncture économique leur est manifestement favorable car ils se retrouvent en tête du classement des plus gros imposés.  De plus, ils étaient souvent aussi exploitants agricoles.

[10] Sauf en 1790, respectivement 13,2 et 12,9 %

[11] Rappel Valeur dans le système décimal.

[12] Disposant du rôle pour cette année, nous l’avons intégré dans cette partie. B 2324 A.D.EL

[13] Voir article « coqs de village » de Jean-Marc Moriceau « Le Dictionnaire de l’Ancien Régime » sous la direction de Lucien Bély  p 1200. Quadrige/PUF 2010 

[14] Tableau établi à partir des rôles de taille des années mentionnées.

[15] Tableau établi à partir des rôles de taille des années mentionnées.

[16] Ce classement doit être relativisé avec le fait que le vicaire vient d’arriver dans la paroisse, étant noté comme nouveau contribuable. Néanmoins, comme on va le voir, l’écart avec son curé, établi depuis des années est considérable.

[17] Terme qualifiant les personnes possédant des biens sur la paroisse de Bretoncelles mais résidant  dans une autre.

[18] Pour saisir ces possessions extérieures, il faudrait confronter les rôles de taille des paroisses environnantes avec ceux de Bretoncelles.

[19] Tableau établi à partir des rôles de taille des années mentionnées.

[20] Tableau établi à partir des rôles de taille des années mentionnées.

[21] Voir article « Hiérarchie et mobilité sociale » de Jean-François Solnon « Le Dictionnaire de l’Ancien Régime » sous la direction de Lucien Bély  p 1200. Quadrige/PUF 2010

[22] Avocat au parlement de Paris et procureur fiscal de la paroisse, il a probablement d’autres revenus ailleurs.

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